Technodiversité
La technodiversité désigne la diversité culturelle des pratiques techniques.
Imposer depuis l'extérieur une solution technique ne respectant pas les particularités spécifiques d'une population s'assimile à un néo colonialisme.
Technosphère[modifier]
"Du point de vue physique, la technosphère et l’environnement sont parfaitement analogues : toutes deux ont une spatialité, sont constitués de stocks de matière et traversés flux. Cette même description instaure une continuité entre les deux objets." [1]
"Puisqu’il s’agit de substances synthétiques, les flux entrant dans la technosphère correspondent aux quantités produites annuellement de ces substances. Une fois ≪ entrées ≫ dans la technosphère, trois possibilités sont ouvertes : une persistance dans la technosphère sous la forme de stocks, l’élimination ou la transformation en flux sortants."
Les flux entrants, les stocks ”technosphèriques” et finalement les émissions sont quantifiés et différenciés selon les secteurs industriels et biens de consommation dans lesquels ces molécules sont utilisées (textile, chaussures, peintures, revêtements de murs...). Souvent, l’étude s’arrête là : le but est de documenter les flux sortants, qui constituent une pollution, afin de pouvoir remédier à celle-ci.
Cosmotechnique[modifier]
La technodiversité est la conséquence de la thèse maîtresse de Yuk Hui : la pluralité métaphysique du concept de technique. Cette pluralité est solidaire de la pluralité de cosmologies, d’ordres du monde : toute technique s’inscrit nécessairement dans une cosmologie particulière, toute technique est cosmotechnique. Yuk Hui décrit ainsi la cosmotechnique :
Pour donner une première définition de la cosmotechnique, je dirai qu’elle renvoie à l’union de l’ordre cosmique et de l’ordre moral à travers des activités techniques (bien que l’expression ordre cosmique soit elle-même tautologique puisque le mot grec kosmos signifie ordre). (Yuk, 2021, p56, les emphases sont d’origine)
Il nous faut insister sur le fait que cette ≪ union ≫ n’est pas la mise en rapport postérieure d’ordres cosmiques et moraux par une technique qui existerait a priori par ailleurs. Yuk Hui parle d’≪ union organique ≫ : chacun des termes existe pour les autres, et ne peut être isolé des autres. Par conséquent, toute cosmotechnique est nécessairement normative car toujours en prise à un ordre moral. Yuk Hui démontre l’omniprésence de cette union dans la tradition philosophique chinoise, la présence explicite continuelle d’une cosmotechnique. (p168)
L’agronomie illustre là tout à fait la cosmologie occidentale telle qu’identifiée par Yuk Hui : une prééminence de la géométrie et avec elle surtout, l’idée de lois de la nature universelles et connaissables. épistémologique, Cohen tire deux conséquences, qui font de l’agronomie une parfaite cosmotechnique.
La première est un glissement d’un ≪ réductionnisme heuristique ≫ à un ≪ réductionnisme prescriptif ≫ Cohen (2017) : le recours au modèle réduit pour l’expérimentation et la production de savoirs scientifiques devient le modèle à reproduire non plus dans un but épistémique mais dans un but productif. L’agronomie prescrit la réalisation de sa norme : une ≪ agrofor- mation ≫.(p178)
L’agronomie, science qui veut découvrir les lois de l’agriculture, devient technologie qui veut produire ces lois, ou plus précisément produire les conditions d’existence de ces lois. C’est une contradiction : s’il existe des lois de la nature, il n’y a pas de sens à devoir construire cette nature. C’est là que l’agronomie se fait cosmotechnique : l’agronomie-technologie (l’agroformation) soutient, voire cherche à faire advenir l’agronomie-cosmologie (la science) alors même que celle-ci justifie et donne sens à l’agroformation. Technologie et cosmologie sont ≪ organiquement ≫ unies.
La seconde conséquence épistémologique tirée par Cohen (2017) concerne directement la normativité de cette cosmotechnique. Cette agroformation constitue pour la biodiversité, une destruction à double titre, d’une part en raison de la destruction systématique des milieux écologiques qu’elle suppose. Rappelons que cette destruction est la première cause du déclin de la biodiversité à échelle mondiale.
Par suite, nous considérerons ”technologie” et ”cosmotechnique” comme des concepts symétriques : ”cosmotechnique” désigne une conceptualisation particulière de la technologie avec sa normativité tandis que ”technologie” réfère à la continuelle tension entre (cosmo)logos et technè. (p188)
La technodiversité est donc normative en tant qu’elle s’oppose à tout projet universalisant, à toute négation ou inconscience de ce caractère normatif. Pour cela, la technodiversité est d’abord diversité normative.(p189)
Référence[modifier]
"S’il est nécessaire de s’attaquer aux positions économiquement dominantes des géants de la technologie, le véritable défi est d’ordre culturel. Comme l’expliquait Innis, pour maintenir leur hégémonie, les personnes au pouvoir doivent « standardiser » autant que possible les outils et méthodologies de communication. Et cela se traduit inévitablement par un appauvrissement de la diversité."
"Google a annoncé en novembre 2020 que Google Ads, élément essentiel pour quiconque souhaite faire des affaires sur Internet, ne prendrait en charge que 49 langues, dont plus de la moitié sont européennes. Or, selon Ethnologue, site encyclopédique de référence recensant les langues du monde, on dénombre plus de 7 000 langues vivantes à ce jour, ce qui signifie que même l’entreprise numérique la plus puissante du monde ne peut représenter qu’un pourcentage réduit de la diversité linguistique de notre planète."
"S’il est vrai que le pouvoir a besoin de concentration et de contrôle, il est tout aussi vrai que la biodiversité culturelle est une condition nécessaire au maintien de la vie sur notre planète. Elle est notre assurance-vie, et nous aurons de plus en plus besoin de la technodiversité pour assurer sa défense."
"la technodiversité est le droit de contrôler son propre « corpus numérique », de lutter contre le colonialisme numérique et de favoriser des solutions respectueuses de l’écologie, des cultures et des langues"
"le fait de s’attaquer au déséquilibre technologique actuel entre le Nord et le Sud de la planète ne peut consister à transférer des technologies du Nord dans le but d’accélérer la subtilisation de données, puis de transformer le Sud en une déchetterie technologique. Il est nécessaire d’encourager le développement de technologies locales durables et respectueuses de la diversité linguistique, culturelle et biologique."
https://courier.unesco.org/fr/articles/la-technodiversite-outil-cle-de-la-decolonisation-numerique
"Forgé sur le modèle « biodiversité » (1986), le mot « technodiversité » signifie implicitement qu’elle est porteuse d’un avantage adaptatif pour répondre aux incertitudes extérieures (au même titre que la diversité génétique procure à une espèce vivante un avantage adaptatif en cas de changement de l’environnement). Sur cette base, Werner Rammert vise à définir une politique technologique préservant la technodiversité."
"En discutant avec nos collègues de pays lointains, on se rend compte que c’est un enjeu majeur : ces collègues sont ravi·es d’avoir accès à des ressources gratuites, bien entendu, mais parlent de néocolonialisme qui se met en place quand la seule option est d’utiliser livres et manuels tels quels."[2]
NATM[modifier]
"The Non Aligned Technologies Movement (NATM) is a coalition for the purposeful implementation of digital technologies in a way that affirms each community’s power of self determination and governance. We aim to become a worldwide alliance of civil society organizations (in collaboration with allied players from the public and private sector) that seek to define and claim technosocial spaces beyond the profit-motivated model of Silicon Valley and the control-motivated model of the Chinese Communist Party, the two centers of power of a new colonial extractivist order." https://nonalignedtech.net/
Références[modifier]
- ↑ Pauline Picot. Techno-logies de l'Anthropocène. Épistémologie de la technodiversité. Philosophie. Université de Technologie de Troyes, 2024. Français (p38)
- ↑ Chaire UNESCO RELIA, Comment garantir les deux “R” qui fâchent…, https://chaireunescorelia.univ-nantes.fr/2024/10/30/comment-garantir-les-deux-r-qui-fachent/